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La découverte du Chaos
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Dans cet article nous répondons principalement aux questions suivantes : Qu’est-ce que la théorie du chaos et comment s’observe-t-elle ? Comment cette théorie est-elle apparue ? Quel est le rôle de l’informatique dans la découverte de cette théorie ? Quelle est son utilité ?

Article mis en ligne le 29 mars 2008
dernière modification le 17 août 2008

par Lionel Balmer

L’apparition de l’ordinateur a permis de mettre en évidence la théorie du chaos de Poincaré et de Lorenz. Cette théorie donne à la science un nouvel aspect.

Introduction

Dans la Grèce antique, le chaos représentait un état homogène, indifférencié et confus précédant l’ordre. Par la suite, la Bible reprend la notion du chaos représentant le désordre originel. Pendant très longtemps, le chaos, l’aléatoire et le hasard sont restés synonymes car on ne savait les différencier. De nos jours, la notion de chaos cache une sous-branche dite chaos déterministe. Le chaos déterministe est un chaos particulier que nous pouvons définir par un système d’équations évolutives.

Questions-Réponses

a. Qu’est-ce que la théorie du chaos et comment s’observe-t-elle ?

La théorie du chaos décrit principalement des systèmes où le degré de liberté est moindre et qui sont pourtant souvent très simples à définir, mais dont la dynamique est chaotique. Ce sont des comportements erratiques. Les critères du chaos sont la notion de forte récurrence et le phénomène de sensibilité aux conditions initiales. Ce phénomène se retrouve dans l’effet papillon où un simple battement d’ailes d’un papillon au Brésil provoque une tornade au Texas (Lorenz). Mais malgré tout, la plupart des systèmes chaotiques dépendent d’un attracteur qui donne une sorte de forme au chaos.

Les comportements erratiques sont des comportements extrêmement variables et le moindre changement de leurs valeurs initiales provoque, sur la durée, des changements extraordinaires.

Nous observons ces phénomènes tous les jours, par exemple lors de la chute d’une feuille ou encore l’observation d’un cours d’eau. En effet, la dynamique de la chute d’une feuille varie de beaucoup pour des conditions initiales variant peu : par exemple, il me suffit d’effectuer une rotation infime de la feuille pour que la trajectoire en soit grandement affectée. Un autre exemple est celui du trajet d’une goutte d’eau dans une rivière : sa trajectoire passée (avant notre observation de la goutte) et future sont imprévisibles et dépendent d’infimes modifications de son environnement. Pourtant nous connaîtrons sa trajectoire limite qui est déterminée par un attracteur ici représenté par les bords du fleuve.

Un autre exemple de mouvement chaotique moins courant est le pendule double. Prenons deux pendules doubles identiques, lançons-les de manière la plus identique possible avec un angle et une force élevée, et nous remarquons que tout d’abord, les mouvements des deux pendules sont très similaires puis qu’ils deviennent complètement différents et chaotiques. Cela est dû à la propriété du pendule double qui, lorsque les oscillations sont très grandes, est extrêmement sensible aux conditions initiales.

Un autre exemple plus mathématique est l’itération de la fonction f(x)= r*x*(1-x) où nous faisons varier de 1 à 4 le paramètre r. Voici un schéma de la situation

Descriptif

Ce qui nous donne graphiquement pour un paramètre r défini :

Animation 00

Représentons ensuite un graphique faisant varier r

Animation 01
Animation représentant la variation de r pour 20 itérations

Voici le code mathématica :

Nous voyons que la variation du paramètre r influe grandement sur le graphique. Cela correspond à une fonction chaotique. De plus, cela nous montre qu’un phénomène erratique n’est pas nécessairement lié à une loi des grands nombres, un paramètre seulement étant variable ici (un paramètre de liberté). Étudions ensuite à plus long terme afin de voir l’état de stabilisation (observons que pour r=2.9 la fonction est devenue constante).

Animation 02
Animation représentant la variation de r pour les 100 à 150ème itérations

Voici le code mathématica :

Ici évidemment nous savons précisément la valeur initiale, mais dans la réalité, nous ne serons jamais assez précis pour trouver le passé et le futur de la dynamique observée.

Nous pouvons ensuite représenter ces données dans un diagramme de bifurcation :

Diagramme de bifurcation
Le diagramme reprend les animations précédentes avec r en abscisse

Voici le code mathématica :

b. Comment cette théorie est-elle apparue ?

De tout temps l’homme a voulu comprendre le monde et c’est dans sa nature de chercher un ordre dans le désordre apparent du monde. Cela commence avec l’apparition de mythes donnant des explications extraordinaires du monde. Les Grecs seront les premiers à chercher des explications par le raisonnement, et la religion prend plus tard le dessus en donnant une explication divine du monde. Cela dure jusqu’au XVème siècle. À partir de cette période, des savants remettent en doute les vérités de l’Église, notamment dans le domaine du ciel car leurs observations ne correspondent pas à l’explication de celle-ci. En effet l’Église soutenait par exemple que la Terre était au centre et que le Soleil tournait autour mais Copernic, puis Galilée, prouvèrent que la Terre tournait autour du Soleil et non pas l’inverse. Mise à part cette découverte, ce qui est très novateur pour l’époque est cette nouvelle façon d’expliquer le monde par l’observation d’un phénomène et sa traduction en langage mathématique. C’est l’origine de la science moderne occidentale (dite actuellement science classique).

Newton, succédant à Galilée, découvre le calcul différentiel et la loi de la gravitation permettant de calculer et prédire les mouvements des planètes, des éclipses, et des comètes. Une seule équation différentielle permettant d’expliquer une multitude de phénomènes, le monde devient tout d’un coup beaucoup plus simple, ordonné et réglé ; le monde devient déterministe. En effet, il suffit d’observer un phénomène, de poser une équation différentielle, de la résoudre et, pour finir de faire varier notre variable afin d’en "voir" le passé ou l’avenir. Pourtant vers le début du XVIIIème siècle, les physiciens (notamment Laplace) rencontrent quelques problèmes avec la loi de Newton lorsque trois planètes (au lieu de deux) s’influencent mutuellement. Convaincus par les équations différentielles et la règle qui dit que de petites approximations n’engendrent que de petites erreurs, les physiciens de l’époque simplifient le problème afin de pouvoir le résoudre.

Au début du XIXème siècle, les physiciens se penchent sur l’étude des gaz et se voient obligés d’avoir recours à la statistique et aux probabilités pour résoudre les problèmes concernant le gaz. Grâce à Maxwell et Boltzmann, la physique prend un nouveau tournant vers la physique statistique qui ne remet pas pour autant en cause les lois de Newton mais propose un autre procédé de calcul).

Lors d’un concours proposé par le roi de Suède sur la question : "le système solaire est-il stable ?", problème où Laplace se basant sur la théorie de Newton avait échoué, Poincaré aborde le problème de façon nouvelle par le biais de la géométrie. Pour résoudre ce problème des trois corps, il invente la topologie [1]. Il en arrive à la conclusion que les trajectoires des planètes sont imprévisibles, et montre ainsi au monde de la physique que la loi de Newton a aussi ses limites. Voici une des observations faites par Poincaré dans Science et méthode de 1903 : "Une cause très petite qui nous échappe détermine un effet considérable que nous ne pouvons pas ne pas voir, et alors nous disons que cet effet est dû au hasard. Si nous connaissions exactement les lois de la nature et la situation de l’Univers à l’instant initial, nous pourrions prédire exactement la situation de ce même univers à un instant ultérieur. Mais, lors même que les lois naturelles n’auraient plus de secret pour nous, nous ne pourrions connaître la situation initiale qu’approximativement. Si cela nous permet de prévoir la situation ultérieure avec la même approximation, c’est tout ce qu’il nous faut, nous disons que le phénomène a été prévu, qu’il est régi par des lois ; mais il n’en est pas toujours ainsi, il peut arriver que de petites différences dans les conditions initiales en engendrent de très grandes dans les phénomènes finaux : une petite erreur sur les premières produirait une erreur énorme sur les derniers. La prédiction devient impossible et nous avons le phénomène fortuit". C’est pourquoi nous pouvons considérer Poincaré comme l’un des fondateurs de la théorie du chaos.

L’histoire ne s’arrête pas là, Poincaré ayant montré les failles des théories de Newton, la physique quantique remet en cause le déterminisme de la physique classique. Par la suite, le monde de la physique se trouve divisé avec la fermeture des frontières de l’URSS. Cela a pour conséquence que des travaux russes (comme ceux de Kolmogorov et de Mendelshtam) sur le "chaos" resteront inconnus de l’occident. Lorenz, au milieu des années 60, professeur de mathématique, passionné de météorologie, cherche à améliorer les prévisions météo. Il faut savoir que ces prévisions se basent sur le déplacement des masses d’air, et par conséquent sur l’application des théories de Newton et des équations différentielles. Le problème apparaît lors de la résolution des équations différentielles qui sont trop complexes à cause du nombre de variables. Pour y remédier, Lorenz établit alors trois équations simplifiant au mieux la situation :

\frac{dx}{dt}=\sigma*(y-x)

\frac{dy}{dt}=-x*z+r*x-y

\frac{dz}{dt}=x*y-b*z

 [2] avec seulement trois variables x, y, z. Lorenz utilise ensuite les premiers ordinateurs (Royal McBee LGP-300) non pas pour juste calculer les prévisions mais pour voir comment les paramètres influent sur les prévisions (utilisation innovatrice des puissances de calcul de l’ordinateur). Lors d’une vérification des données (ce qui revient à tout retranscrire et recalculer), Lorenz voulant gagner du temps, abrège les données en les simplifiant à trois décimales au lieu de six, car selon la pensée de l’époque, l’incertitude finale ne serait que d’un millième plutôt que d’un millionième. Mais contre toute attente, il trouve un résultat complètement différent. Il remarque alors qu’une variation minime des valeurs initiales de la simulation provoque, à court terme, peu de différences mais qu’à long terme, la différence est immense (métaphore du papillon). Il décide ensuite de représenter graphiquement la dynamique de son équation dans un "espace des phases" [3] (selon la topologie inventée par Poincaré) dont la dimension correspond à l’ensemble des variables caractérisant le système à un instant donné :

Animation de l’attracteur de Lorenz

Pour voir le code mathématica de cette animation prenez le fichier joint.

Sinon voici un autre code mathématica très didactique car l’on peut facilement faire des rotations, des zooms, ou encore changer les paramètres :

Pour chaque instant donné, le système est donc caractérisé par un point de cet espace. Lorsque nous varions les paramètres initiaux, nous observons que, bien que la dynamique ne soit pas identique, la forme générale l’est plus ou moins. Cette forme sera appelée plus tard "attracteur étrange" par Ruelle et Tanks. Au final, Lorenz remarque que les boucles semblent s’empiler sur des plans dont le nombre tend vers l’infini et « l’épaisseur » vers zéro. De plus, quelle que soit l’échelle et la norme à laquelle on examine cet attracteur, le motif semble toujours le même :

Lorenz 01
Lorenz 02
Lorenz 03

Plus tard, Mandelbrot découvre les fractales dont la figure de Lorenz fait partie.

Vers la fin des années 60, Ruelle et Tanks mettent au point la théorie du chaos en se basant sur les turbulences (système chaotique). Ils définissent aussi une règle pour qu’un système dynamique soit chaotique. La règle est la suivante : le système dynamique doit avoir au moins trois degrés de liberté et les non-linéarités doivent être suffisantes, comme dans les équations de Lorenz. Cela s’explique aisément par la topologie se rapportant aux trajectoires dynamiques dans l’espace de phases. En effet, si l’espace n’était qu’en deux dimensions les trajectoires devraient s’écarter à l’infini (chose impossible car les variables ne peuvent être à la fois définies et infinies) ou se couper (tout aussi impossible car la nature déterministe du phénomène interdit les croisements de trajectoires). Il manque donc une dimension, d’où la conclusion qu’un système dynamique non linéaire doit avoir au moins trois degrés de liberté pour qu’il soit chaotique. Un exemple tout simple est l’oscillation d’un pendule non linéaire entretenu en vibration par une fréquence f1. Ici le système à deux degrés de liberté : la position et la vitesse et par conséquent son mouvement n’est pas chaotique. Ajoutons ensuite une seconde vibration de fréquence f2 sur son axe. Le système devient donc bi-périodique (on dit aussi quasi périodique) car il possède un troisième degré de liberté lui permettant, pour certaines valeurs d’oscillations f2, d’avoir un mouvement chaotique.

c. Quelle est le rôle de l’informatique dans la découverte de cette théorie ?

Comme nous l’avons vu précédemment avec Poincaré, les bases de la théorie du chaos ne nécessitaient pas d’ordinateur. Mais pourtant sans celui-ci la compréhension et la représentation du chaos aurait été impossible. Rappelons qu’un système chaotique peut se définir par une équation différentielle et que ce système est très sensible aux valeurs initiales. L’utilité de l’ordinateur réside dans sa capacité à effectuer des séries de calcul rapidement. En effet, imaginez-vous itérer 20 fois une fonction pour un paramètre puis ensuite de recommencer pour un paramètre légèrement différent et ainsi de suite : très ennuyeux et surtout pas très rapide. De plus, une fois cela fait, il vous faut retranscrire les points sur un graphique en deux voire trois dimensions. Par la suite la recherche de divers paramètres pouvant influencer la forme du graphique demande de créer à chaque fois un nouveau graphique 3D (pour par exemple observer si les normes de la base sont importantes, si la position des axes le sont aussi, de même pour les différents niveaux de zoom à l’intérieur du graphique,...). L’utilité d’un ordinateur pour l’analyse du chaos réside au final dans sa capacité de calcul et sa représentation graphique des données.

d. Quelle est son utilité ?

En physique, en mathématique et en météorologie évidemment, mais aussi en biologie et chimie, en astrophysique, en économie et science social,...bref dans quantité de domaines.

  • En biologie, dans l’étude de populations, les savants ont remarqué que la croissance présente un comportement chaotique. L’exemple le plus simple est l’étude d’un modèle logistique dans lequel la population évolue au cours du temps selon l’équation suivante : f(t+1)=f(t)*e^{r*f(t)/k}. Lorsque r est petit (c’est-à-dire pour des populations ayant un taux d’accroissement maximal limité) la croissance est dite sigmoïde et se représente comme suit :
Évolution d’un effectif au cours du temps
Pour un paramètre r inférieur à 2.69

Lorsque r est supérieur à 2.69 l’effectif présente un modèle chaotique comme suit :

Évolution d’un effectif au cours du temps
Pour deux paramètres r de 5.00 et 5.01

Ou encore pour l’étude des crises d’épilepsies, de l’activité cardiaque ou du cerveau,...

  • En chimie pour l’étude des gaz et des particules comme le mouvement brownien.
  • En astrophysique, lors d’intégrations numériques (pour de grandes durées mais qui sont toujours largement inférieures à l’âge du système solaire) des mouvements des planètes proches du Soleil comme Mercure, Vénus, la Terre et Mars, il a été remarqué que ces systèmes sont très sensibles aux conditions initiales et que par conséquent la prévision de l’emplacement de celles-ci dans le futur lointain est tout simplement impossible. De plus, des physiciens ont récemment remarqué que la Terre, si elle n’avait pas de lune,
    aurait une rotation chaotique. Ce qui signifierait que sur Terre, il n’y aurait plus ce système "régulier" des saisons tel que nous le connaissons.
  • En économie l’étude de marché montre que la bourse est un système chaotique (au sens technique...).

Conclusion

Le chaos a envahi le monde des sciences et a remis en question la place du hasard dans notre univers. Cela a aussi permis d’ouvrir de nouveaux horizons, tout en relativisant la place suprême de la science.

Sources


Documents
Code pour l’animation 3.1 kio / Zip